Au fil des années, le réseau d’affaires congolais nous a habitués aux thèmes sortant des sentiers battus qui, entre «strat’ comm’» et provocation soft, ont au moins eu le mérite d’interpeller et de poser les questions qui fâchent. On se souvient notamment de «Pour en finir avec le mythe des matières premières» qui, dès l’édition 2, donnait le ton. Avec le thème générique de cette septième édition : «Out of the box», un cap a été franchi, dans la promesse au moins. Mais le pari est-il tenu ?
Le forum annuel du premier réseau d’Affaires d’Afrique centrale qui compterait, aux dires de l’organisation, quelques cinq cents membres, parmi lesquels deux cents membres actifs, reste indubitablement le temps fort business de la capitale congolaise. Et, cette année encore, la plupart des chefs d’entreprise qui comptent en RDC (Mining, banking, télécoms, industrie, services, santé…), une demi-douzaine de ministres, sans oublier quelques VIP africains et tout ce que Kinshasa abrite de cabinets d’experts en audit et finance, étaient de la partie, le 6 décembre à l’Hôtel Pullman, pour une journée de conférences, business meeting et ateliers thématiques – Le 7 décembre ayant été consacré à la traditionnelle business cruise sur le fleuve Congo, à bord du bateau Majestic River.
Pour en revenir à l’énigmatique «Out of the box», le voile a été levé par Nicole Sulu, lors de la cérémonie d’ouverture, en présence du Premier ministre, Jean Michel Sama Lukonde et devant un parterre de quelques quatre cents happy fews. Selon la charismatique présidente et fondatrice du réseau, il y aurait urgence à se débarrasser des mythes entourant la RDC afin de revisiter les fondamentaux de l’économie nationale et, au-delà, penser stratégies d’avenir.
En rappelant notamment dans son discours que «la RDC n’occupe qu’un modeste 1,6% de la surface terrestre (…)», et qu’elle est donc à ce titre difficilement qualifiable de «Pays continent», ou «que le PIB par habitant à Singapour, qui ne fait que 728 km2 – et ne possède aucune matière première –, est cent dix fois supérieur à celui d’un Congolais», Nicole Sulu a très vertement attaqué un «Roman national qui nous piège en nous renvoyant une image déformée de nous-même». Selon elle, il serait « dangereux » de se complaire dans ces mythes qu’elle considère «destructeurs» et, en réponse, préconise «d’encourager ceux qui osent penser demain sur d’autres bases et de laisser place à ceux qui savent sortir de logiques tenant d’ores et déjà du passé».
Le défi était donc posé. L’élite économique et politique nationale était-elle capable, une journée au moins, de casser ses propres certitudes et repères pour aller chercher, «out of the box», une réflexion constructive, parce que différente ?
Les choses ont plutôt bien commencé avec un Premier ministre qui a, pour l’occasion, quitté son costume de technocrate et qui a su montrer un visage détendu, abordable, tout en restant très précis sur son projet et particulièrement pertinent quant à ses ambitions pour le pays.
Vint ensuite un Fabrice Lucinde, DG de la SNEL, plutôt percutant qui, à la surprise générale, a (enfin !) déconstruit pierre après pierre le mythe du Grand Inga en précisant que «même avec le Grand Inga, la production ne couvrirait pas nos propres besoins de consommation électrique» (voir encadré). Le milliardaire égyptien Nagib Sawiris, magnat de l’immobilier, des télécoms et de la finance, connu pour ses prises de positions anti-islam radical, ou pour avoir créé le festival international de cinéma du Caire, n’a pas trahi le projet en offrant à l’assistance un moment succulent de vécu «out of the box».
On n’oublie pas, en fin de journée, le duo – assez impressionnant en termes de leçon d’économie «out of the box»– formé par les ministres des Finances de RDC et du Bénin, en l’occurrence Nicolas Kazadi et Romuald Wadagni. Les deux experts ont en effet confirmé une des antiennes du Makutano, à savoir que la dette n’est pas un problème en soi, si elle est dirigée vers l’investissement. Ils ont également expliqué, exemple béninois à l’appui, que les leviers pour lever des fonds au niveau international sont non seulement multiples pour qui sait les concevoir, mais qu’ils reposent essentiellement sur la confiance et l’image pays, et donc sur le lobbying international et la communication faite à l’extérieur du pays incriminé.
Par contre, rien de très folichon côté «out of the box» avec l’AFD et la signa[1]ture du document de partenariat RDC/ France, temps officiel de la journée, ou lors des ateliers où les sujets sont restés, pour la plupart, plus «in the box» qu’«out». Ceci dit, la qualité était bel et bien là, et il n’en reste pas moins qu’on a eu, dans l’ensemble, du Makutano pur jus et fidèle à sa hauteur de réflexion.
En conclusion, on a envie de dire que même si la promesse n’a pas été tenue à 100%, le projet aura eu le mérite d’exister et de marquer les esprits pour un bon bout de temps. Un verrou psychologique a en effet sauté lors de ce forum. Celui de l’impossibilité de s’attaquer au roman national. Il en restera inévitablement quelque chose… Sachant, comme nous le rappelions en début d’article, que tout le gotha économique était de la partie.
On peut même parier sur le fait que ceux qui étaient là ne diront plus «Pays continent» ou «scandale géologique» avec cette posture presque indigeste laissant penser que tous nos problèmes sont, par conséquent, «potentiellement» réglés.
Et ça, c’est un grand pas !
Par F. Lehoux