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Emmanuel Véron

« Il faut décrire la Chine et la faire comprendre aux décideurs africains »

Emmanuel Véron est Docteur en géographie et spécialiste de la Chine. Il suit ce pays depuis une quinzaine d’années. Il a été enseignant à l’Université Paris I, à l’INALCO, puis à l’école Navale en France. Il a reçu M&B à Paris pour nous parler de son livre «la Chine face au monde, une puissance résistible». Il nous éclaire sur la stratégie de la Chine dans le monde, en Afrique, mais aussi en RDC.

Qu’est-ce qui vous a poussé à devenir un spécialiste de la Chine ?

J’ai commencé à faire des études de géographie sur la Chine. Je faisais déjà du chinois et j’avais une certaine appétence pour l’Asie. Je n’ai d’ailleurs jamais perdu de vue mon objet, à savoir la Chine dans toutes ses dimensions, qu’elles soient sociétales, politiques, économiques ou stratégiques.

Pendant les études, on vous demande de vous spécialiser sur un sujet ou une zone du monde. Moi, j’avais déjà effectué des voyages en Asie, en Chine notamment. Parce qu’il y a souvent des décalages entre ce que l’on voit et ce qu’on lit, j’ai décidé de me spécialiser sur ce pays parce que j’avais la sensation que c’était un énorme morceau dont on ne fait pas le tour en quelques années, mais que ça serait l’investissement d’une vie.

Vos interlocuteurs chinois sont-ils contents de parler à un spécialiste ? Comment réagissent les autorités politiques chinoises ?

D’abord ils marquent une forme de curiosité parce que l’on s’intéresse à eux, ils trouvent cela flatteur et c’est une manière de briser la glace. La deuxième chose est que la géographie est une discipline phare, très importante en Chine. Parce qu’elle leur permet de connaitre leur territoire, de l’aménager. Donc une discipline qui est très ancienne, importante et destinée à des gens qui arpentent le territoire, qui connaissent les populations et les différents paysages.

Quand on connait l’ampleur du ressentiment vis-à-vis des étrangers en Chine… Quand cet étranger connait la géographie de la Chine, c’est assez marquant et parfois déstabilisant pour nos amis chinois. On peut donc être aperçu comme étant quelqu’un qui connait en profondeur le pays. En fait, on apprend l’un de l’autre, on a des échanges, même si c’est un tout petit peu compliqué maintenant, mais les échanges ont été excellents et significatifs. Concernant les autorités politiques, la situation a progressivement changé ces dernières années, notamment avec un durcissement de la politique, du ressentiment et du traitement des étrangers, qu’ils soient académiques ou non. Les étrangers académiques, surtout, sont toujours suspectés de… Globalement, quand les Chinois vous connaissent, cela veut dire que ça fait une quinzaine d’années que vous êtes en Chine et que vous n’avez pas systématiquement de problématiques sinon on peut avoir une forme de blocage dans les échanges. On a maintenant une certaine distance qui s’est installée avec les autorités politiques, c’est vrai.

Les autorités chinoises ont-elles toujours l’impression qu’on les espionne ?

C’est très prégnant chez eux. Disons-le clairement, le régime de Pékin, le parti État évolue dans une atmosphère paranoïaque. Tout est suspect et en particulier les étrangers. Ils pensent qu’il est possible d’utiliser un étranger comme un potentiel agent de déstabilisation subversif auprès des populations chinoises. Cela nourrit auprès des autorités chinoises une forme de ressentiment. Le pouvoir politique doit le gérer. «Est qu’on doit avoir ou pas des étrangers dans notre pays ?» Dès que l’on touche à des sciences humaines et politiques, les sujets sont sensibles et le pouvoir politique n’est pas du tout étranger à cette sensibilité.

Vous venez d’écrire un livre avec Emmanuel Lincot. Pouvez-vous nous présenter votre coauteur et nous faire un résumé du livre ?

Emmanuel Lincot est un spécialiste d’histoire politique et d’histoire de l’art sur la Chine et sur l’Asie. Un académique français qui a des connaissances en profondeur de l’Asie Centrale et orientale et même de la Chine.

Nous est venue l’idée d’écrire un livre suite à certains nombres de publications depuis le premier confinement au printemps 2020, pour faire un état des lieux assez condensé et dans un style relativement enlevé de la singularité de la puissance chinoise. Donc, on est parti du constat global que, certes il y a la puissance chinoise que l’on présente, mais que c’est une puissance, pour paraphraser Bretch, il y a 80 ans, «est une puissance résistible» par rapport à son propre modèle, à ses propres singularités que je vais expliquer après.

Comment s’appelle le livre ?

Le livre s’appelle «la Chine face au monde, une puissance résistible». Nous avons souhaité brosser de manière synthétique, un tableau de la puissance chinoise projetée en Asie et dans certains pays dans tous les domaines. Qu’il soit technologique, commercial, financier ou technologique et militaire (programme spatial chinois, programme de technologies de rupture, la 5G, le big data, le quantique, etc.). Mais aussi dans ses dimensions diplomatiques, c’est-à-dire le travail et l’influence de la Chine auprès de ses partenaires commerciaux, c’est-à-dire l’ensemble de la planète, le travail d’influence à l’ONU et les initiatives politiques, stratégiques et diplomatiques de Pékin pour créer un ordre non onusien. C’est-à-dire des initiatives chinoises qui vont discuter en priorité avec les États du tiers monde notamment le continent africain qui est un acteur clé pour Pékin parce qu’il s’agit d’une cinquantaine de pays qui lui permet d’avoir une assise à l’ONU en matière de marchés et de technologie.

À la question la Chine a-t-elle les moyens de sa puissance ? Probablement pas. On voit aujourd’hui des fragilités à l’interne, du système bancaire financier, social, etc.

A-t-elle les moyens de tenir ces fameux projets des routes de la soie qui impactent toute la planète et dans tous les domaines ? A priori non, parce que l’on voit déjà une certaine limite dans les pays endettés et la grande difficulté de remboursement des prêts dans la construction d’infrastructures ferroviaires ou routières. Donc, on est face d’une puissance qui est résistible. C’est pour cela qu’il faut la décrire et la faire comprendre aux décideurs.

À ce propos, il y a peu de temps, un article du Figaro s’intitulait «Ingérence, manipulation, désinformation, l’entrisme de la Chine menace l’Occident». Quel est votre avis dessus ?

Je crois que cette série d’articles fait écho à des documents publiés par différentes institutions ces dernières semaines. Le premier constat est que le travail d’influence de la Chine en tant que puissance n’est pas nouveau. Cela fait trente ans que cela dure, en mode laboratoire et en modalité d’action à travers tout un tas de spectres qui vont des questions d’influence politique et financière, à des formes de compromission ou de rapprochement avec certains États fragiles.

Une forme d’entrisme ? Je rappelle que cela fait trois ou quatre décennies d’un travail élaboré et concerté pour gagner en influence. Maintenant quand on regarde de près, c’est la question de l’Occident. Effectivement, il y a un travail de sape que l’on a évoqué précédemment sur le modèle onusien, du modèle de développement et de l’ordre international dominé par l’Occident depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Pékin propose au reste du monde une alternative, un autre modèle, dans une certaine mesure contre l’Occident.

Et ça marche ?

Ils y arrivent parce que Pékin met les moyens. On va voir que les dix ou les vingt prochaines années seront très structurées par cela. La cohabitation de l’héritage post 1945 dominé par l’Occident et des alternatives contre cet héritage historique initié par Pékin et dans lesquelles Pékin va chercher une complémentarité d’actions avec la Russie, avec l’Iran, avec un certain nombre d’États qui seraient bannis par le système international dominé par les États-Unis.

Revenons sur la RDC. Le gouvernement congolais veut renégocier certains contrats miniers passés avec la Chine. Qu’en pensez-vous ?

Je crois que ce qui est très important sur la relation forte entre Pékin et la RDC est de rappeler la capacité d’influence de la Chine dans cet immense pays sur la question des ressources naturelles. Cette question-là est au cœur même de la politique étrangère de la Chine pour les pays émergents et en développement. On est en plein dans ce laboratoire de la politique africaine de Pékin. Quand on regarde le bilan ces 20 dernières années ; c’est une montée en puissance tous azimuts de l’influence chinoise dans tous les domaines et particuliers le domaine économique.

Maintenant, quand on regarde en finesse les choses ; entre 2007 et 2018, là où on atteint un summum dans les activités chinoises, dans ses prêts, dans ses investissements dans ses activités diplomatiques, financières et commerciales sur le territoire de la RDC et plus largement sur l’Afrique subsaharienne. On a les résultats de la politique de Donald TRUMP qui était d’allumer des contre-feux quant à l’ingérence et à l’influence croissante de la Chine. Les chinois cherchaient à rendre encore plus vulnérables des pays en développement comme la RDC par un endettement très lourd, par des prêts très très importants qui jamais ne pourront être remboursés dans le cadre de négociation ou d’accords-cadres, notamment sur l’extraction minière, l’exploitation de bois ou des terres agricoles.

C’est dans cette mesure que la RDC tente de vouloir renégocier ces accords-cadres autour de grands projets miniers avec la Chine, notamment avec les grands opérateurs chinois que l’on retrouve au Congo ou ailleurs. Je pense à la Guinée Conakry ou la Zambie. On est donc manifestement sur ce processus.

La Chine serait donc «irrésistible» ?

Non, le plafond de verre pour Pékin dans sa politique africaine par rapport à ces grands contrats, ce sont les politiques de contre influence menées par Washington et d’autres vis-à-vis de Pékin dans la rivalité stratégique et aussi une sensibilisation plus concrète des acteurs africains dans la relation avec Pékin. Et c’est surement là que se jouera l’avenir : quelles sont les capacités de réveil et de prise en compte de la politique chinoise par les élites africaines elles-mêmes ?

Donc, cela renvoie à des questions de corruption, d’employabilité, d’environnement corrélées à des questions de coûts et évidemment financières par rapport à l’opération comme l’extraction minière.

Mais la Chine reste incontournable ?

Oui, il faut rappeler que la Chine a réussi à se tailler une part du gâteau très très importante avec le monopole sur l’extraction de tous les minerais en Afrique et notamment en RDC. Donc la Chine est aujourd’hui un faiseur de marchés. Dans la renégociation des contrats, cela reste à suivre pour savoir quelles sont les marges de manœuvre de Pékin pour continuer… parce que Pékin ne changera pas de mode opératoire.

Par Christophe Rigaud

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