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Chine-RDC: la fin de l’innocence?

Révision du «contrat du siècle», respect du code minier, fin des exploitations illégales… Kinshasa met la pression sur les entreprises minières chinoises pour imposer des accords plus équitables et renflouer les caisses de l’État.

Révision du «contrat du siècle», respect du code minier, fin des exploitations illégales… Kinshasa met la pression sur les entreprises minières chinoises pour imposer des accords plus équitables et renflouer les caisses de l’État.

Rien ne va pas plus entre Kinshasa et Pékin. Depuis plusieurs mois, la Chine se trouve sous pression du président Tshisekedi et de son gouvernement au sujet d’un sujet hautement sensible : le secteur minier. Les autorités congolaises annoncent vouloir réviser les contrats miniers avec la Chine. Des contrats largement défavorables à l’État congolais, et très loin de la coopération «gagnant-gagnant» vantée par les deux pays du temps de la présidence Kabila. L’offensive contre les contrats chinois a commencé lors de la tournée présidentielle dans l’ex-Katanga en mai 2021. Dans cette riche province minière, le chef de l’État a dénoncé «ceux avec qui le pays a signé des contrats d’exploitation et qui s’enrichissent pendant que nos populations demeurent pauvres». À Kolwezi, le président annonce donc vouloir «revisiter» les contrats «mal négociés» par son prédécesseur, Joseph Kabila.

SICOMINES, le «contrat du siècle»

Dans le viseur présidentiel, tout le monde a compris que la Chine était en ligne de mire. Selon la Chambre des mines du Congo, les investisseurs chinois contrôlent en effet plus de 70% du secteur minier congolais et l’ex-Katanga abrite une trentaine d’entreprises chinoises. Pour réévaluer le partenariat avec la Chine, Félix Tshisekedi a commandé une série d’audits. Celui de la Gécamines avec Tenke Fungurume Mining, dont l’actionnaire principal est le groupe China Molybdenum, mais surtout celui de la Sicomines, présenté en 2008 comme «le contrat du siècle».

À l’époque, alors que Joseph Kabila occupait encore la présidence, une convention de partenariat avait été signée entre l’État congolais et la Chine sous forme d’un troc : ressources contre infrastructures. D’un montant renégocié à 6 milliards de dollars, les Chinois devaient investir dans la Sicomines à hauteur de 3 milliards de dollars, et réaliser 3 milliards d’investissements dans les infrastructures du pays (routes, électrification, chemins de fer…). 13 ans plus tard, autant dire que le compte n’y est pas.

Vous avez dit gagnant-gagnant ?

Fin septembre 2021, le Conseil des ministres a rendu public le premier rapport de la commission d’évaluation du fameux contrat sino-congolais. Sur un financement prévu de 3 milliards de dollars pour les infrastructures, «le montant investi par la partie chinoise se chiffre à 825 millions de dollars, intérêts non compris» révèle le gouvernement. Seuls 27,5% des projets annoncés ont été réalisés. Un rapport de l’Initiative pour la Transparence des Industries Extractives (ITIE) est également très attendu sur le sujet. Car, outre la non-réalisation des infrastructures sur le terrain, l’accord passé entre l’État et la Chine s’avère très largement défavorable à la partie congolaise.

Dans son rapport provisoire, qui a fuité dans la presse et qui n’a pas encore été remis aux parties prenantes, l’ITIE s’étonne de la répartition du capital social de la Sicomines. Si l’État congolais apporte l’essentiel de la valeur de l’entreprise en gisements de cobalt et de cuivre, il ne se voit attribuer que 32% des parts sociales. «Un préjudice sans précédent dans l’histoire récente de la RD Congo» pointe le rapport. De plus, la partie chinoise a revu à la baisse le projet minier estimant les réserves de cuivre «insuffisantes». Un argument «fallacieux» selon l’ITIE qui lèse clairement l’État congolais actionnaire. Un «rééquilibrage» est donc nécessaire, pointe le rapport.

«Une forme d’esclavage»

Mais il n’y a pas que les contrats «mal négociés» qui se retrouvent sous le feu des critiques de Kinshasa. Il y a aussi ces entreprises qui exploitent des ressources naturelles illégalement au Congo. C’est notamment le cas au Sud-Kivu, dans des sites aurifères. Le gouverneur de la province a suspendu cet été six entreprises extractives, toutes chinoises, qui ne respectaient pas le code minier et l’environnement, en utilisant des produits polluants pour exploiter les minerais. La ministre des Mines n’avait, étrangement, pas apprécié ces interdictions et avait demandé au gouverneur de revenir sur sa décision. Visiblement, un geste d’apaisement de la part de Kinshasa. Comme si les charges n’étaient pas suffisantes contre l’attitude de la Chine en RDC, un documentaire du journaliste de RFI, Alain Foka, est venu semer le trouble autour de l’activité d’une mine de Kamituga, toujours au Sud-Kivu. Dans ce reportage intitulé «En finir avec la traite négrière en Afrique», et diffusé sur YouTube, le journaliste dénonce la mainmise des propriétaires chinois de la mine, interdisant la visite du ministre provincial des mines sur le lieu d’extraction. Le site semble fonctionner en dehors de tout cadre légal, sans que les autorités congolaises aient leur mot à dire. Le docteur Denis Mukwege, prix Nobel de la Paix, interrogé dans le documentaire d’Alain Foka, y dénonce «une forme d’esclavage».

Guerre commerciale avec Washington

Attaquée de toutes parts, la Chine fait plutôt profil bas. Son ambassadeur en RDC a assuré Kinshasa que Pékin «condamnait toute exploitation illégale des ressources naturelles» et était même disposé «à collaborer avec les autorités congolaises pour sanctionner les responsables». Une première pour des intérêts chinois à l’étranger. Le ministre chinois des Affaires étrangères, Zhao Lijian a essayé, lui aussi, de temporiser en mettant en avant le «partenariat stratégique» sino-congolais qui a permis de promouvoir «le développement de l’industrie minière locale». Mais le discours sonne un peu creux après l’audit de l’accord sino-congolais de 2008. Le calme tout relatif des autorités chinoises dissimule mal l’enjeu qui se cache derrière le bras de fer avec Kinshasa. Il se trouve, en effet, que la RDC est en train de devenir le nouveau terrain de jeu de la guerre commerciale que se livrent, par pays interposés, la Chine et les États-Unis. Avec pour objectif au Congo, le très juteux et très stratégique secteur minier. Pour mesurer l’étendue de la rivalité qui oppose Pékin à Washington en RDC, il faut se rendre sur les réseaux sociaux.

Bataille des Tweets

En pleine polémique sur les entreprises chinoises accusées d’exploitation illégale, l’ambassadeur Zhu Jing, en poste à Kinshasa, s’est fendu d’un petit tacle sur Twitter en direction des États-Unis. «Parmi les entreprises minières soupçonnées d’exploitation illégale au Sud-Kivu, il y en a au moins une américaine. Est-ce que l’administration américaine va aussi prendre des sanctions comme l’administration chinoise ?» s’interroge le diplomate. Avant une dernière pique : «Ceux qui sont vraiment forts doivent assumer leur responsabilité». La réponse américaine ne s’est pas fait attendre. Sur le même réseau social, le diplomate et ancien envoyé spécial pour la région des Grands Lacs, Peter Pham, fait remarquer que si «le gouvernement de RDC a cité six entreprises chinoises, aucune des États-Unis ne figure sur la liste. Et d’ironiser lui aussi: “Bienvenue, Excellence, d’être un partenaire commercial responsable dans le secteur minier. Les forts disent la vérité”.

Les paris de Félix Tshisekedi

En s’attaquant aux contrats miniers avec la Chine, Félix Tshisekedi espère marquer des points sur trois tableaux. Le premier est de faire rentrer davantage d’argent dans les caisses de l’État grâce à des contrats plus équitables. Le second est de contenter son partenaire américain dans sa bataille avec la Chine. Félix Tshisekedi a fait des États-Unis son allié principal, tant sur le plan économique que sécuritaire. Et les retombées, même minces, se font déjà sentir. Enfin, en remettant en lumière les contrats léonins passés sous Joseph Kabila, le président congolais continue son travail de rupture avec son prédécesseur.

Mais attention, pour l’instant la renégociation des contrats miniers reste une simple promesse présidentielle. Seule une évaluation et un audit des contrats sont en cours. Il faudra ensuite entrer dans le dur et il n’est pas dit que Pékin se laisse faire. La Chine a fait de la RDC la première destination de ses investissements sur le continent et elle compte bien en tirer un maximum de profit. Félix Tshisekedi ne doit pas non plus se focaliser uniquement sur les miniers Chinois. L’ensemble du secteur est à nettoyer. Du côté des Australiens ou des Canadiens par exemple. Enfin, son bras de fer avec la Chine touche directement les intérêts de l’ancien président Kabila et de ses proches. À l’approche des élections de 2023, personne n’est en mesure de savoir ce que prépare politiquement Joseph Kabila.

Par Christophe Rigaud — Afrikarabia

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